Villard Reculas – Plus les jours passent, plus j’ai la sensation d’avoir vécu un moment extraordinaire lors de cette quatrième participation à l’Oisans Trail Tour. La sensation d’avoir approché l’autre monde du trail…
24 kilomètres, 1 200 mètres de D+ et 1 500 de D-. Le programme annoncé du Trail court de l’Oisans Trail Tour est autant alléchant que redouté. Je n’ai encore jamais abordé une course aussi longue, avec un profil altimétrique aussi marqué. C’est aussi la première fois que j’ai autant l’impression qu’il faut préparer sa course, gérer ses efforts et ses apports en énergie pour avoir l’espoir d’arriver au bout.
Le départ est donné depuis l’Alpe d’Huez et le tracé sillonnera les plus beaux paysages pour se glisser vers l’arrivée à Villard Reculas, en passant par un ravitaillement à Auris. L’organisateur ne rigole pas et a annoncé des contrôles du matériel obligatoire. Avant l’entrée dans le sas de départ, l’annonce est faite: c’est le GSM qui est vérifié. A 9h, le troupeau s’élance depuis les alpages de l’Alpes d’Huez. Direct en montée dans une pente humide et même marécageuse vers la mine de l’Herpie, avant de plonger dans la Combe Chave. Je m’arrête à peine un kilomètre après le départ pour une correction du laçage. Mes chaussures trop serrées, j’avais la sensation que de l’acide coulait dans mes pieds. La première descente est déjà piégeuse. En réalité, elle marque la particularité de l’ensemble du tracé: il n’y aura pas de chemin plat, sympa, où l’on peut se reposer et laisser aller son attention. La belle descente se fait à travers des roches glissantes et les marches naturelles des différentes roches. Une première glissade calme mon enthousiasme.
Depuis le départ (et même bien avant), j’ai une seule idée en tête: gérer la course et arriver au ravitaillement du 14e kilomètre à Auris dans les temps de la barrière horaire, fixée à 2h30. Je pense, un peu présomptueux, le faire en deux heures. En bas de cette première descente, on aborde une longue montée qui part de la Combe Chave vers le Col de Sarenne. Je décide de la marcher en imprimant un certain rythme avec les bâtons, toujours dans cette optique de ne pas perdre trop de temps avant la barrière horaire. Je n’oublie pas de relever la tête pour admirer les montagnes et notamment la Tête du Serre. Au pied du col, on bifurque dans une montée crapuleuse sur le chemin de la randonnée vers la Croix de Cassini. Là, les organismes souffrent. Le souffle se fait court et, devant, certaines concurrentes s’arrêtent et me laissent passer. Après un peu plus de 7 kilomètres, au Col de Grange Pellorce, on plonge vers la première descente. C’est un « single track » de randonnée qui ne laisse pas place au repos. Il est tortueux et piégeux, avec des racines et des pierres dissimulées dans des touffes d’herbes hautes. Il faut regarder où poser le pied, sous peine d’entorse. La descente se fait plus pentue, je ralentis. Les filles me dépassent. Soudain, elles s’arrêtent devant un obstacle et une mini file se forme. Je relâche l’attention et c’est l’erreur. Devant, un gros rocher et plusieurs marches qu’il faut descendre avec précaution. Mais quand je pose le pied sur le rocher humide et boueux, il se dérobe immédiatement. Je me retrouve sur le cul. La surprise et la frustration passées, j’ai la satisfaction de ne pas avoir mal aux jambes, au dos ou à l’épaule. Mais mon petit doigt me pique étrangement. Il pisse le sang. Sur les bords d’une roche coupante, je me suis ouvert le petit doigt à deux endroits. Dont une coupure dans le pli de la phalange. Cela pique, cela saigne et je n’arrive pas à mesurer l’importance de la blessure (qui s’avèrera sans aucune gravité). Mais dans la tête, cela gamberge. A quelle distance est le ravito ? Vais-je arriver à stopper l’écoulement sang avec le pansement que j’ai heureusement emporté ? Coup de stress !
Le stress de la barrière horaire avant le ravitaillement à Auris
11e kilomètre et déjà deux heures de course. Cela va être « juste » pour le ravito. Il reste 30 minutes pour faire trois kilomètres. Je râle car je constate que l’écran de ma montre est rayé par la chute. Par chance, c’est à cet endroit que débute la seule descente de deux kilomètres sur un chemin de terre carrossable. Deux kilomètres de descente dans la Combe Gillarde avec du rythme pour filer vers Auris. Le dernier kilomètres avant le ravito monte mais le chrono me rassure. Il reste cinq minutes avant la barrière horaire quand j’arrive à Auris. Mais le ravitaillement est situé… juste avant la cellule. Il faut donc faire le plein des flasques en peu de temps, avec l’aide des bénévoles qui attirent l’attention sur les limites de cette barrière. Il n’y aura pas de rabiot alloué. Cela passe à l’heure ou c’est l’embarquement dans la navette ! Radical.
A partir de cet endroit, je me fais une amie de course, qui peine, avec moi, à repartir dans la pente abrupte après le ravito. « Quel stress, cette barrière horaire ! Maintenant, on peut finir la course à notre rythme », me dit-elle, rassurée. Je pense exactement la même chose ! Après cette montée dans le domaine des marmottes, une descente nous emmène dans des chemins schisteux, où j’évite de peu une seconde chute. Je suis calmé. Les kilomètres commencent à marquer l’organisme. Le soleil se fait plus présent et je cherche l’ombre. On passe par Maronne et une jolie petite chapelle avant de descendre dans une gorge. Puis, on gagne le village d’Huez, où la fontaine fait le plus grand bien. Un bénévole annonce qu’il ne reste que six kilomètres. Mais la montre indique un manque de D+ par rapport à ce qui était annoncé. Il sera pourtant bien au programme. Dans la Combe du Bras, on se tape au moins deux kilomètres de montée en pente verticale. En plein soleil, il faut grimper un sentier fait de marches en terres ou en rochers. Je fais dix pas, je m’arrête vingt secondes. A cette altitude, on est asphyxié par l’effort. Ma copine de course fait de même et on se motive mutuellement dans cette montée infernale. Un regard sur la montre: j’ai mis 26 minutes à effectuer le dernier kilomètre. A l’approche du sommet, on croise le réputé photographe officiel Cyrille Quintard… qui court vers le bas de la descente. Il n’immortalisera pas notre passage.
Il reste alors deux kilomètres à courir dans une descente en plongée vers Villard Reculas, en passant par le Lac Langaret. Le sentier est raviné, avec des racines et des marches naturelles. Les jambes sont usées et lourdes. Les genoux et les cuisses encaissent. Il est parfois même difficile de courir en descente. Plus de jus ! Mais l’arrivée est proche et c’est la délivrance. 4h58 de course et la sensation d’avoir gagné un ticket pour un autre monde. Celui du vrai trail de montagne.
Les chiffres: 24,39 km, 1 276 de D+, 1 623 de D- et plus de 3 500 calories dépensées.
Malgré la fatigue, le bilan est positif. Je ne le réalise que quelques jours plus tard. J’ai bien géré ma course et je l’ai abordée d’une manière très différente. Plus en longueur, plus en gestion. Une autre façon de faire du trail. La meilleure façon, sans doute, pour prendre plus de plaisir.
Bien sûr, je reviens l’année prochaine avec des ambitions décuplées !

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